Collecte de connaissances traditionnelles, confidentialité et propriété: certaines questions à considérer

Droit autochtone | Propriété intellectuelle | Savoir traditionnel

Lorsque les connaissances traditionnelles sont recueillies dans le contexte d’une étude, qui en est le propriétaire? Et la connaissance reste-t-elle confidentielle?

Il est indéniable que la collecte de savoirs traditionnels revêt une importance cruciale, surtout en raison des effets qu’ont eus les pensionnats sur la transmission intergénérationnelle des savoirs traditionnels. Cependant, les communautés autochtones doivent savoir que certains principes du droit de la propriété et certaines règles de confidentialité du droit canadien s’arriment parfois difficilement avec les principes du droit autochtone qui régissent l’utilisation et le partage des connaissances. Puisque les ordres juridiques autochtones ont souvent des interprétations différentes du droit canadien sur la façon dont l’information devrait être partagée, les gens provenant de traditions juridiques différentes peuvent avoir différentes conceptions de base de la bonne façon de traiter l’information.

Nous voudrions aborder quelques-unes de ces questions. Nous croyons qu’il est essentiel de recueillir des connaissances traditionnelles. Cependant, nous pensons qu’on peut prévenir d’éventuels malentendus ou différends en cernant quelques problématiques en début de projet d’étude de connaissances traditionnelles, pour ensuite en discuter avec les différentes personnes impliquées.

La possession

Projets conjoints = copropriété?

Afin de produire une étude sur les connaissances traditionnelles que les tribunaux et les gouvernements trouveront convaincante comme preuve d’usage des terres autochtones, il est souvent nécessaire d’embaucher un spécialiste formé comme un anthropologue. Les communautés autochtones trouveront souvent un organisme extérieur, comme le gouvernement, un promoteur ou une université, qui offre de mener conjointement l’étude avec la communauté.

Dans ces situations, il sera important de préciser dès le début du projet à qui appartiennent les connaissances recueillies pendant le projet ainsi que le rapport résumant les connaissances recueillies au cours de celui-ci. En droit canadien, par exemple, la personne qui enregistre une conversation sera généralement considérée propriétaire de cet enregistrement. Si la communauté n’est pas à l’aise avec ce principe, il sera important de s’assurer que la propriété des connaissances enregistrées est stipulée dans une entente écrite.

Le bailleur de fonds est-il propriétaire du projet?

La réalisation d’une étude sur les connaissances traditionnelles peut s’avérer coûteuse, et il arrive que les promoteurs de projets ou les gouvernements offrent de payer pour ce type d’étude. Se pose alors la question de savoir si le bailleur de fonds devient propriétaire des connaissances recueillies au cours du projet.

Il sera important pour une communauté d’examiner attentivement toutes les ententes de financement pour voir si elles prévoient ce type de propriété. Il est possible de rédiger un accord de manière à ce que la question de la propriété des connaissances recueillies soit clairement établie.

En règle générale, le droit canadien prévoit que le titulaire des droits d’auteur portant sur un enregistrement ou un rapport a le droit de reproduire ceux-ci, et même de les vendre à une autre personne. Si une communauté autochtone veut empêcher la personne effectuant la recherche de reproduire ou vendre les connaissances qu’elle recueille, il sera important de le prévoir.

Confidentialité

Obligations de « communication préalable »

Les chercheurs qui mènent des études sur les connaissances traditionnelles promettent souvent aux personnes qu’ils interrogent que l’information acquise demeurera confidentielle. Toutefois, la «confidentialité» n’est pas absolue en droit canadien. Cela a des conséquences sur la façon dont l’information peut être plus ou moins largement diffusée.

Par exemple, lorsqu’une personne poursuit une autre personne, on peut généralement se prévaloir du droit de « communication préalable » (discovery) pour en apprendre davantage au sujet de l’autre partie au litige. Cela signifie qu’en général, le demandeur ou le défendeur a l’obligation de partager tout document pertinent au litige avec la partie adverse. Cela a pour but de faciliter la recherche de la vérité par les tribunaux dans tous les litiges. Une partie pourra refuser de divulguer un document seulement si elle démontre que ce document fait l’objet d’un privilège. Par exemple, les communications entre un avocat et son client sont protégées par un privilège, et la partie adverse n’a pas le droit d’y avoir accès.

On pourrait débattre de la question de savoir si ce type de privilège pourrait empêcher la divulgation d’études sur les connaissances traditionnelles et les informations qu’elles contiennent. Cependant, ces études risquent fort de devoir être divulguées à une partie adverse dans un litige selon le droit en vigueur. Selon les particularités de chaque situation, il pourrait toutefois y avoir des moyens de réduire le risque de cette divulgation.

Demandes d’accès à l’information

Si une étude sur les connaissances traditionnelles se retrouve entre les mains d’un gouvernement (provincial ou fédéral), la loi sur l’accès à l’information de ce ressort s’appliquera probablement à l’étude.

Dans ce cas, l’étude sur les connaissances traditionnelles peut être accessible au public par le biais d’une demande d’accès à l’information.

Selon le ressort, il peut y avoir des façons de minimiser le risque d’accès à l’information par le biais d’une entente écrite avec le gouvernement.

Réflexions finales

Rien de ce qui précède ne devrait être interprété comme une tentative de décourager l’important travail de collecte et d’étude des connaissances traditionnelles. Nous voulons seulement vous sensibiliser à l’importance de se pencher sur ces questions le plus tôt possible.

Le droit canadien analyse l’information au travers de quatre prismes : la propriété, le contrôle, l’accès et la possession. Les parties peuvent parvenir à un accord sur chacune de ces questions selon les besoins de chacune des parties. Il est possible pour une communauté autochtone de négocier un accord avec des partenaires extérieurs et des bailleurs de fonds qui respectera les principes de droit autochtone.

Il se peut qu’un détenteur de connaissances croie que l’enregistrement des connaissances est si important qu’il prime les risques décrits ci-dessus. Il se peut aussi que le système juridique du détenteur du savoir permette le partage des connaissances pour servir un but noble, comme la protection d’un site sacré donné. Cependant, nous pensons que la meilleure façon d’encadrer ce partage de connaissance est de négocier une entente en vue d’obtenir le consentement éclairé de la personne détenant ces informations.

par Senwung Luk

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