Le gouvernement fédéral a le pouvoir de légiférer à l’égard des Métis et des Indiens non inscrits, selon la Cour suprême

Constitution | Droit autochtone | Partage des pouvoirs

Aujourd’hui, la Cour suprême du Canada a rendu son jugement dans l’affaire Daniels c. Canada. Cet arrêt de principe traite des relations constitutionnelles qui unissent les gouvernements provinciaux et fédéral aux Métis et Indiens non inscrits.

 

Contexte

Quand le Canada a été fondé en 1867, on a spécifié dans sa constitution les matières à l’égard desquelles chaque palier de gouvernement (fédéral ou provincial) pourrait légiférer.  Grosso modo, on peut affirmer que les matières à l’égard desquelles le fédéral peut légiférer sont énoncées à l’article 91 alors que celles dévolues aux provinces sont édictées à l’article 92.

L’article 91(24) prévoit que le gouvernement fédéral détient un pouvoir exclusif à l’égard des « Indiens et les terres réservées pour les Indiens ».  Cela signifie qu’il revient au gouvernement fédéral, et non aux provinces, d’adopter des lois dont le but et la portée traitent des Premières Nations et de leurs terres.  En 1939, la Cour suprême a jugé que l’article 91(24) s’appliquait également aux Inuits. Daniels demande si l’article 91(24) vise aussi les Métis et les autres autochtones sans statut au sens de la Loi sur les Indiens (« Indiens non inscrits »).

Les demandeurs ont aussi demandé à la Cour de déclarer que le gouvernement a une « obligation de fiduciaire envers les Métis et les Indiens non inscrits en tant que peuples autochtones », et que les Métis et les Indiens non inscrits « ont droit à ce que le gouvernement fédéral les consulte et négocie avec eux de bonne foi sur une base collective, par l’entremise de représentants de leur choix, relativement à l’ensemble de leurs droits, intérêts et besoins en tant que peuples autochtones ».

 

À qui s’applique l’article 91(24) selon la Cour suprême?

La Juge Abella, qui a rédigé la décision unanime de la cour, est d’avis que l’article 91(24) inclut également les Métis et les Indiens non inscrits.  Selon la Cour, ce point de vue est compatible avec l’historique et l’objet de l’article 91(24), la jurisprudence et le reste de la constitution, y compris l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.  (L’article 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 considère déjà les Métis comme l’un des « peuples autochtones du Canada ».) Cela reflète aussi le comportement passé du gouvernement fédéral qui avait déjà reconnu les Métis à titre d’Indiens quand cela lui convenait, en les envoyant notamment aux pensionnats autochtones, à leur grand malheur.   En d’autres mots, la Cour suprême affirme que « les contextes historique, philosophique et linguistique établissent que les « Indiens » nommés au par. 91(24) englobent tous les peuples autochtones, y compris les Indiens non inscrits et les Métis ». (par.19)

Le tribunal a préféré laisser à d’autres la tâche de déterminer quelles communautés ou personnes précises sont comprises dans cette définition générale. On a conclu « qu’il n’est pas nécessaire d’identifier les collectivités d’ascendance mixte formées de Métis et celles formées d’Indiens non inscrits » aux fins de l’application de l’article 91(24). (par. 46)

Contrairement à la Cour fédérale d’appel, la Cour suprême n’a pas appliqué la définition de Métis élaborée aux fins de l’article 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 (dans le cadre des droits autochtones) à l’article 91(24).  Dans l’arrêt Powley, un jugement de 2003 de la Cour suprême du Canada, le tribunal avait formulé trois critères pour établir la portée du mot Métis au sens de l’article 35(1) : 1) l’auto‑identification comme Métis; 2) l’existence de liens ancestraux avec une collectivité métisse historique; 3) l’acceptation par la communauté métisse actuelle.  Dans l’arrêt Daniels, la Cour suprême a affirmé que « l’acceptation par la communauté » n’était pas un critère approprié au sens de l’article 91(24).  L’article 35(1) a pour objet de protéger des droits collectifs historiques. C’est pourquoi le critère d’acceptation par la communauté est approprié dans ce contexte.  L’article 91(24) concerne, quant à lui, la relation du gouvernement fédéral avec les peuples autochtones du Canada. Selon la Cour suprême, on se doit donc d’inclure des personnes qui ne seraient plus acceptées par leurs communautés, car il se peut qu’elles en soient séparées, par exemple, en raison de politiques gouvernementales comme les pensionnats indiens. (par. 48-49) Le gouvernement ne peut profiter des effets de ses politiques coloniales destructrices afin de se soustraire à sa responsabilité constitutionnelle.

 

L’obligation de fiduciaire et le devoir de consultation d’accommodement  

La Cour suprême a refusé de rendre des jugements déclaratoires à savoir si la Couronne aurait une obligation de fiduciaire et un devoir de consultation envers les Métis et les Indiens non inscrits.  Un tel jugement déclaratoire n’a aucune utilité pratique, affirme la Cour, parce qu’il ne ferait que réaffirmer des principes de droit bien établis selon lesquels il existe déjà une obligation de négociation (selon contexte particulier) lorsque des droits ancestraux sont en jeux et que les peuples autochtones du Canada (y compris les Métis) ont une relation de nature fiduciaire avec la Couronne. (par. 53-56)

 

Quelques réflexions

Des progrès modérés en vue de préciser la compétence et d’améliorer la reddition de comptes

Comme le tribunal l’a reconnu, ce jugement met un terme à une longue bataille de compétence qui a eu pour effet de laisser pour compte les Métis et les Indiens non inscrits. Durant plusieurs années, les gouvernements fédéral et provincial ont tous deux refusé d’admettre détenir le pouvoir de légiférer à l’égard des Métis.  Cela signifie qu’aucun palier de gouvernement ne s’estimait habilité à traiter des questions touchant les Métis, et aussi que les Métis et les Indiens non inscrits ont été exclus de plusieurs programmes fédéraux et de services offerts aux personnes issues des Premières Nations détenant le statut officiel « d’Indien ».  Les provinces n’ont pas fait grand-chose pour combler les lacunes. Fait peut-être plus important, cela veut dire que le gouvernement fédéral n’a pas pris de mesures pour négocier et conclure des traités concernant les droits ancestraux des Métis et des Indiens non inscrits.

Ce jugement précise que le gouvernement fédéral a le pouvoir d’adopter des lois au sujet des Métis et des Indiens non inscrits. Toutefois, cela ne signifie pas que le gouvernement fédéral fournira des services aux Métis; il serait d’ailleurs difficile de le forcer à le faire.  L’arrêt Daniels élimine simplement une tactique que les gouvernements utilisaient pour éviter cette responsabilité.   Enfin, il convient d’ajouter que la compétence fédérale ne s’est pas toujours avérée utile pour les Premières Nations qui y sont assujetties.

 

« Partenaires de la confédération »

Cette décision prévoit que « la reconnaissance grandissante du fait que les peuples autochtones et non autochtones sont des partenaires dans la Confédération » est une raison d’interpréter l’article 91(24) de manière à inclure tous les peuples autochtones. (par. 37)   Ce genre d’affirmation suggère que la relation de nation à nation qu’entretient le Canada avec les peuples autochtones ne trouve pas seulement son expression dans l’article 35, mais aussi dans la séparation des pouvoirs prévue aux articles 91 et 92 de la constitution de 1867.  Il s’agit peut-être d’un pas vers une meilleure compréhension de la compétence autochtone dans le contexte du fédéralisme canadien.

 

Lois provinciales existantes

Enfin, ce jugement soulève quelques questions au sujet de lois provinciales existantes touchant les droits des Métis.  La Cour suprême aborde cette question brièvement en affirmant que « le fait que le gouvernement fédéral ait compétence à l’égard des Métis et des Indiens non inscrits ne signifie pas que toute mesure législative provinciale les concernant est intrinsèquement ultra vires . Comme l’a reconnu notre Cour, il importe que les tribunaux ‘privilégient, dans la mesure du possible, l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement’ » (par. 51).  La Cour précise aussi que « la compétence fédérale sur les Indiens prévue au par. 91(24)  n’empêche pas l’instauration de régimes provinciaux valides qui ne portent pas atteinte à son contenu essentiel ». (par. 51)

Cet extrait illustre deux points de vue opposés sur le fédéralisme : un premier permettant le chevauchement des compétences (une sorte de fédéralisme coopératif) et un second dans lequel les compétences fédérale et provinciale s’exercent séparément l’une de l’autre. Selon la seconde approche, la constitution devrait « protéger le contenu essentiel » de l’article 91(24) de l’empiètement de lois provinciales autrement valides (un point de vue « étanche » basé sur la doctrine de l’exclusivité des compétences).  Dans l’arrêt Tsilhqot’in, la Cour a indiqué que les pouvoirs « protégés » étaient moins étendus que plusieurs ne le croyaient.  Cette décision est venue préciser que les provinces peuvent adopter des lois sur des sujets qui relèvent de leur compétence (p. ex. les forêts) et qui ont un effet indirect sur les droits des Autochtones. Toutefois, le droit de légiférer des parlements provinciaux et fédéral est limité par les droits issus des traités des Autochtones, lesquels sont garantis par l’article 35(1).  Bien que certains croyaient que l’arrêt Tsilhqot’in marquerait la fin de « l’exclusivité des compétences », le jugement Daniels nous indique le contraire.

La cour minimise également l’impact potentiel de son jugement sur les lois provinciales.  Certaines lois seront fort probablement touchées, notamment celles qui concernent spécifiquement les Métis ou les Indiens non inscrits.  Même si la Cour tient à encourager le chevauchement des compétences fédérale et provinciale, elle ne peut amender les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Depuis l’arrêt Daniels, il est évident que les provinces n’ont pas le pouvoir de légiférer dans domaines prévus à l’article 91(24).

Les lois visant spécifiquement les Métis sont particulièrement à risque.  Par exemple, certaines provinces ont adopté des lois reconnaissant des droits aux Métis.  En Alberta, la province a adopté le « Metis Settlements Act » pour offrir aux Métis des territoires afin de leur permettre de préserver et de renforcer leur culture, leur identité et leur autonomie.  Au lendemain de la publication de l’arrêt Daniels, il est probable que cette loi outrepasse les pouvoirs de la province, même si elle été adoptée à la suite d’un accord entre le gouvernement albertain et les Métis. Cette question devra être tranchée un jour ou l’autre.

 

Par Krista Nerland

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