Le dernier jour de 2019, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a publié son jugement dans l’affaire Coastal GasLink Pipeline Ltd. v. Huson. La juge Church y accorde une injonction interlocutoire assortie d’ordonnances exécutoires en faveur de Coastal GasLink, une filiale de TC Energy Corporation (autrefois TransCanada Pipelines), ordonnant le retrait des personnes bloquant l’accès aux routes nécessaires pour terminer la construction d’un gazoduc devant parcourir 670 km, du nord-est de la Colombie-Britannique jusqu’à de futures installations d’exportation de gaz naturel liquéfié près de Kitimat (le « Projet »).
La décision et ses répercussions attirent l’attention des médias à l’échelle internationale. Alors que la GRC procède à ses premières arrestations, les défenseurs des terres sont déterminés à rester sur place. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’Organisation des Nations Unies et la commission indépendante des droits de la personne de la Colombie-Britannique ont exhorté le Canada à suspendre les travaux jusqu’à l’obtention du consentement préalable, libre et éclairé (« CPLE ») de toutes les Premières Nations touchées. En dépit de ces recommandations, le premier ministre de la Colombie-Britannique promet de mener le Projet à terme. De son côté, l’Association canadienne des producteurs pétroliers a été plus incisive, déclarant qu’il est « gênant » d’adopter la position des défenseurs des terres. Dans une province essentiellement dépourvue de traités et où l’exécution de nombreux projets hautement médiatisés a récemment été suspendue, les enjeux sont majeurs.
La Cour, instrument de résolution de ce genre de conflits, occupe une position de choix pour donner des indications claires à ceux qui se questionnent sur le développement de projets de ressources naturelles à l’ère de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Malheureusement, la décision qui nous occupe ne se montre pas à la hauteur.
Faisant écho à des décisions d’une époque révolue, la Cour Suprême sous-entend clairement que, malgré la revendication d’un titre aborigène par les maisons héréditaires de la nation Wet’suwet’en, Coastal GasLink en a fait assez. La Cour souligne à maintes reprises les efforts déployés par l’entreprise, soit l’obtention de permis auprès des autorités provinciales et la conclusion d’ententes sur les avantages communautaires avec les conseils de bande au sens de la Loi sur les Indiens (et non avec les maisons héréditaires) établis le long du trajet. Elle mentionne aussi que quelques Wet’suwet’en soutiennent le Projet et qu’un des défendeurs s’y oppose sur son compte Instagram.
Bref, la Cour insiste sur la nature du processus mis en place par Coastal GasLink plutôt que sur le résultat. L’arrêt passe complètement sous silence les normes issues du droit coutumier autochtone qui motivent la protestation des chefs héréditaires Wet’suwet’en. Or, ce qui ressort clairement de l’examen du contexte, c’est l’absence de consentement non équivoque des Wet’suwet’en.
La norme du consentement libre, préalable et éclairé est plus efficace, parce qu’elle apporte de la clarté et de la certitude. Il y a consentement, ou il n’y a pas consentement. Dans ce cas précis, le bureau des affaires territoriales des Wet’suwet’en a participé à l’évaluation environnementale du Projet et a activement proposé un parcours différent. La juge Church mentionne que Coastal GasLink a étudié l’option soumise par les Wet’suwet’en avant de la rejeter unilatéralement, sans explications. Sans surprise, le bureau des affaires territoriales des Wet’suwet’en a décliné les propositions de négociation subséquentes. Certains membres des maisons Wet’suwet’en directement touchées par le Projet (soit les défendeurs) ont donc pris des mesures conformément à leur droit coutumier et aux droits exclusifs (titre aborigène) qu’ils revendiquent activement devant les tribunaux.
S’il y a revendication de titre aborigène, c’est que les premiers gouvernements britanno-colombiens ont fait fi de la nécessité de conclure des traités. Le critère pour prouver l’existence d’un tel titre a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Delgamuukw, où les chefs héréditaires Wet’suwet’en, en leur nom et au nom de leurs maisons, agissaient en qualité de demandeurs. Un titre aborigène confère à un peuple autochtone le droit d’occuper et d’utiliser ses terres et d’empêcher qu’elles ne lui soient retirées sans son consentement.
Pour prouver l’existence d’un titre aborigène, il faut démontrer une utilisation exclusive des terres (la capacité d’interdire l’accès à autrui) au moment où la Couronne a affirmé sa souveraineté sur celles-ci ainsi qu’une utilisation ininterrompue depuis cette affirmation. Dans Delgamuukw, la Cour indique ceci au sujet de l’exclusivité :
« L’exclusivité, en tant qu’aspect du titre aborigène, appartient à la collectivité autochtone qui possède la capacité d’exclure autrui des terres détenues en vertu de ce titre. La preuve du titre doit, à cet égard, refléter le contenu du droit. S’il était possible de prouver l’existence du titre sans démontrer l’existence d’une occupation exclusive, on parviendrait à un résultat absurde, car il serait alors possible à plus d’une nation autochtone de posséder le titre aborigène à l’égard d’un même territoire, et toutes ces nations pourraient alors tenter de faire valoir le droit d’utiliser et d’occuper de façon exclusive ce territoire » [nous soulignons].
À l’inverse de ce raisonnement, la décision Coastal GasLink soutient que, puisque les revendications de titre aborigène des Wet’suwet’en n’ont pas encore été réglées, le critère de l’exclusivité actuelle doit être assoupli pour permettre à Coastal GasLink d’accéder aux terres.
Cette impasse laisse perplexe et fait état de la situation difficile dans laquelle se retrouvent les communautés autochtones du Canada à l’aube de la troisième décennie du 21e siècle. En effet, le critère pour prouver l’existence d’un titre aborigène exige la preuve d’une utilisation exclusive du territoire qui, une fois la preuve faite, est accordée, mais qu’il faut entre temps abandonner.
Nous avons expliqué dans de précédents articles que, dans ce genre de situation, le risque de conflits augmente à mesure que se prolonge la période entre la formulation d’une revendication et son règlement, et que la création d’un climat propice au consentement est la seule solution qui s’offre au gouvernement pour concilier développement économique et réconciliation avec les peuples autochtones. Contrairement aux mesures axées sur la forme plutôt que sur le fond visant la tenue de consultations jugées suffisantes, l’obtention ou non d’un consentement est une question objectivement claire.
Voilà pourquoi la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a adopté le CPLE comme norme directrice. Cette norme a été mise en place à l’échelle internationale puisqu’elle entraîne une diminution tangible des risques. Les éléments d’un projet susceptibles d’avoir des effets sur un territoire ne sont pas réalisés en l’absence de consentement.
Demander à toutes les parties prenantes de se retrousser les manches et de déployer les efforts nécessaires pour instaurer un climat propice au consentement : voilà la solution que le premier ministre de la Colombie-Britannique devrait adopter dès maintenant. La Cour suprême l’avait compris dans Delgamuukw, y encourageant le recours à un « processus de négociation et de réconciliation qui prenne dûment en compte les intérêts complexes et opposés en jeu ». Plus de 20 ans plus tard, la décision Coastal GasLink a raté une belle occasion de le rappeler.
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Écrit par Oliver MacLaren
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