Quatre examens réglementaires visant à réformer la législation canadienne en matière d’environnement ont présentement lieu, et tous sont entravés par des problèmes de procédure. On ne doit pas sous-estimer ces problèmes procéduraux, car ceux-ci risquent de compromettre ces examens si des mesures ne sont pas prises afin de modifier le processus. Cela est très important pour les peuples autochtones puisque les programmes réglementaires et environnementaux établis par les amendements du projet de loi omnibus de 2012 ont désespérément besoin d’être révisés.
En juin 2016, le Canada a fait l’annonce de mesures pour favoriser la participation des peuples autochtones à quatre examens distincts de processus environnementaux et réglementaires :
- Le comité d’experts pour examiner les processus d’évaluation environnementale fédérale (y compris la Loi canadienne sur l’évaluation (« LCEE ») environnementale, 2012);
- Le comité d’experts sur la modernisation » de l’Office national de l’énergie (« ONE ») ;
- L’examen en comité parlementaire de la Loi sur les pêches;
- L’examen en comité parlementaire de la Loi sur la protection de la navigation
(voir la fin du présent article pour un aperçu des échéanciers).
Nous avons déjà traité de la création du comité d’experts sur le processus d’évaluation environnementale (« EE ») et de ses lacunes procédurales dans un article précédent. Le présent article se concentre sur les trois autres processus d’examen. Malheureusement, ces processus sont encore entravés par les mêmes problèmes procéduraux que nous avions identifiés concernant le comité d’expert sur le processus d’EE, soit :
- Un manque de communication claire à propos du processus pour les participants autochtones;
- Le défaut de la part d’organismes de financement d’octroyer les fonds nécessaires pouvant permettre la participation autochtone en temps opportun.
Ces processus ont un potentiel extraordinaire (lorsque bien organisés). En plus de pouvoir réparer le tort causé par les amendements de 2012 à la protection de l’environnement et des droits et intérêt des Autochtones, ces examens pourraient mener à l’adoption de régimes réglementaires profitables à tous grâce à une meilleure protection des intérêts autochtones. Malheureusement, l’approche du gouvernement fédéral semble pour l’instant confuse. Elle ne démontre non seulement aucune compréhension des problèmes de capacité des communautés autochtones, mais elle ne semble pas non plus avoir été conçue pour promouvoir une participation réelle des communautés autochtones et des groupes représentatifs à ces examens.
En ce qui a trait à la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection de la navigation, plusieurs choses doivent changer :
- Comme pour le comité d’experts sur l’EE, il est nécessaire de revoir immédiatement les délais en matière de financement. Il ne peut y avoir aucune participation autochtone effective sans un financement adéquat fourni en temps opportun;
- Le rôle de la consultation autochtone doit être clarifié afin de pouvoir se matérialiser. Cette consultation ne peut être basée uniquement sur le précepte suivant : « Faites-nous part de votre opinion et nous en tiendrons compte ». Le processus doit fonctionner de manière à ce que les points de vue des autochtones soient pris au sérieux. Bien que la participation d’un organisme externe constitue un élément important dans ce processus, il risque actuellement de manquer de ressources pour effectuer un examen indépendant convenable.
- Les échéanciers doivent être raisonnables. Le Canada ne peut pas cafouiller, d’une part, au sujet du financement et de la communication à propos de ce processus et, d’autre part, exiger des réponses dans des délais excessivement serrés.
La participation constructive des communautés autochtones dépend directement de la clarté du processus et de l’octroi de financement en temps opportun. Les communautés autochtones ne peuvent pas consulter convenablement leurs membres à ces sujets en l’absence de financement et de délais raisonnables, point à la ligne. Sans processus permettant ce type de consultation, on ne peut parler de processus sérieux.
Nous aborderons brièvement chacun de ces examens.
Examen de la Loi sur les pêches
Le problème fondamental est la disproportion entre l’étendue de l’examen de cette loi et le niveau d’implication des communautés autochtones envisagée par le gouvernement fédéral. La Loi sur les pêches en vigueur a besoin d’une importante révision, et le niveau d’implication des communautés autochtones doit refléter l’ampleur de ce défi.
Les amendements de 2012 à la Loi sur les pêches ont compromis sérieusement la protection des poissons et de leurs habitats au Canada (voir notre analyse de 2012 ici). Concrètement, ces amendements et les changements de politiques qui les ont accompagnés ont eu un effet dévastateur. Le professeur Martin Olszynski a étudié l’impact des réformes de 2012, et les résultats de son travail :
« … décrivent la poursuite de l’érosion déjà entamée d’un régime réglementaire préalablement déficient, ainsi que l’abdication, par le gouvernement fédéral, de la responsabilité de protéger l’habitat des poissons au cours des dernières décennies ».
Une partie du problème est que nous ne connaissons pas l’étendue des dommages, car l’un des aspects importants de ces amendements est que Pêches et Océans Canada (« MPO ») a cessé de recueillir des données au sujet des activités pouvant nuire à l’habitat des poissons dans plusieurs régions du pays.
Selon ce que les communautés et organisations autochtones ont appris, le gouvernement prévoit interagir de trois manières avec les communautés autochtones :
- Directement avec le Comité permanent des pêches et des océans (« FOPO »), soit en personne ou par écrit (les mémoires doivent être soumis avant le 30 novembre 2016);
- Par le biais de consultations directes des groupes autochtones par le MPO, qui en transmettra les résultats au Comité permanent;
- Via le site web de la consultation publique du MPO (parlonshabitatdupoisson.ca). Considérant à quel point l’eau et les poissons sont essentiels pour plusieurs communautés autochtones, le processus d’examen proposé ne permettra pas une participation significative des groupes autochtones aux débats entourant les impacts négatifs des amendements précédents ou les changements que l’on pourrait apporter à la Loi sur les pêches.
En voici les problèmes principaux :
- On ne sait pas si le Comité permanent comprend l’ampleur de la participation requise (quoique le Comité permanent a récemment repoussé la date finale de l’examen et ajouté quatre séances additionnelles à son agenda);
- Malgré la date finale du 30 novembre 2016 pour la soumission de mémoires ainsi que les demandes répétées de la part de communautés autochtones, le MPO s’est trainé les pieds pour communiquer ses décisions concernant le financement pour la participation. Plusieurs communautés n’ont reçu aucune nouvelle concernant le financement qu’elles ont demandé. Les décisions en matière de financement dont nous avons eu connaissance n’ont accordé qu’une fraction des fonds demandés. Comme ce fut le cas avec le comité d’experts sur l’EE, le manque de certitude au sujet du financement est un obstacle majeur à une participation sérieuse des groupes autochtones. Les communautés et les groupes qui reçoivent leur autorisation de leur demande de financement trop tard n’ont pas assez de temps pour préparer leurs interventions. Les participants autochtones n’ont quant à eux pas le temps de faire approuver leurs interventions par leurs gouvernements autochtones ou de consulter les membres de leur communauté.
- Les plans du MPO de « consultation » sont vagues et imprécis. Quels groupes seront consultés? À quoi ce processus ressemblera-t-il? Outre la mention « automne 2016 », il ne semble pas y avoir de détails supplémentaires sur le début des consultations. Il semble qu’aucune « consultation » importante n’ait commencé alors que nous dépasserons bientôt l’échéance « automne 2016 ».
- L’approche voulant que le MPO résume au Comité permanent les points de vue collectifs exprimés par les groupes autochtones nous semble inappropriée et sans garantie additionnelle. Il est inconcevable que le MPO puisse représenter les points de vue des communautés autochtones puisqu’il n’est titulaire d’aucun droit autochtone et qu’il a une piètre feuille de route en matière de respect des droits autochtones. Pour un exemple de cette feuille de route peu reluisante, voir la lutte incessante des nations Nuu-chah-nulth pour amener le MPO à respecter les jugements de la Cour suprême du Canada confirmant les droits de pêche des Nuu-chah-nulth.
Même si le MPO a annoncé qu’il y aura une autre ronde de « consultation », il est plutôt inquiétant de constater qu’on n’ait pas décidé de consacrer plus de temps ou de ressources directement à ces consultations. Considérant l’historique d’erreurs de gestion du MPO en matière de pêcheries, les problèmes d’application de la réglementation et le non-respect des droits et intérêts des Autochtones, un des aspects qui devrait être traité dans une Loi sur les pêches révisée, est la création d’un régime réglementaire qui reconnaitrait la compétence autochtone et impliquerait les peuples autochtones dans la gestion des pêcheries. Il s’agirait certes d’un grand changement, et c’est pourquoi il faut en discuter ouvertement.
Un autre aspect qui demeure flou est la manière dont l’examen de la Loi sur les pêches (et celui de la Loi sur la protection de la navigation) s’arrimera avec le Plan de protection des océans en vertu duquel le gouvernement s’engage à solliciter les conseils et la participation des peuples autochtones dans plusieurs domaines.
L’examen de la Loi sur la protection de la navigation
La Loi sur la protection de la navigation constitue un autre élément central de la réglementation environnementale qui a considérablement été dilué par les amendements de 2012. Le principal changement apporté consistait en la réduction du nombre de cours d’eau protégés par la loi (et donc potentiellement sujet à la protection et à un examen environnemental) à seulement 67 rivières, 97 lacs et trois océans, sur un total de 2,5 millions de cours d’eau protégés. L’impact de cette réduction combiné aux changements apportés à la Loi sur les pêches est considérable.
Le Canada n’envisage qu’une consultation limitée avec les communautés autochtones. Les communautés et organisations autochtones pourront soumettre leurs mémoires au Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités avant le 30 novembre 2016.
La consultation des autochtones par Transport Canada signifie simplement qu’il « écoutera les points de vue » des communautés autochtones, et que les commentaires reçus directement par Transport Canada seront « utilisés » dans sa réponse aux recommandations du Comité permanent. Ces processus ne satisfont pas les exigences juridiques en matière de consultation adéquate des autochtones.
En ce qui a trait aux demandes de financement, Transport Canada s’est aussi trainé les pieds pour rendre ses décisions et il affirme qu’il traite présentement ces demandes aussi vite qu’il le peut.
Comité d’experts sur la modernisation de l’Office national de l’énergie
Puisque le comité d’experts pour l’examen de ONE a été constitué cette semaine, nous en savons très peu sur le processus qui sera suivi. La date limite pour soumettre les mémoires au comité est le 17 février 2017.
Même si le rôle du comité pour la révision de l’ONE est « fixé », ses attributions laissent une certaine marge de manœuvre pour se pencher sur le mandat de l’ONE, et sur la manière dont l’ONE consultera les autochtones et prendra en considération leurs droits et intérêts. Les membres nommés au comité promettent que les questions importantes aux peuples autochtones seront prises au sérieux. Il en va de même des commentaires du ministre Carr au sujet de l’importance de la consultation et de l’accommodement des peuples autochtones dans le processus pour régler les problèmes de l’ONE.
Nous espérons que l’ONE fera tout en son possible pour que le financement adéquat soit alloué aux communautés autochtones en temps opportun, et ce, bien avant les périodes prévues pour la participation des communautés autochtones.
Résumé des échéanciers
Examen de la Loi sur les pêches
- Date limite pour soumettre un mémoire au Comité permanent (30 novembre 2016);
- Les demandes pour comparaître devant le Comité permanent sont acheminées ici.
Examen de la Loi sur la protection de la navigation
- Date limite pour soumettre un mémoire au Comité permanent (30 novembre 2016);
- Les demandes pour comparaître devant le Comité permanent sont acheminées ici.
Examen de la modernisation de l’ONE
- Les mémoires doivent être soumis au comité avant le 17 février 2017;
- Audiences du comité – à venir.
L’examen du comité d’experts de l’EE
- Les séances du comité ont lieu jusqu’au début de décembre;
- Les mémoires au comité doivent être soumis au plus tard le 23 décembre 2016 (date limite repoussée, car la date limite originale était fixée au 18 décembre).
par Matt McPherson
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